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Contre l’invasion des écoutes téléphoniques, un décalogue pour restaurer les règles

Publie le mardi 27 juin 2006 par Open-Publishing
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de STEFANO RODOTA’ Traduit de l’italien par karl&rosa

Les écoutes téléphoniques ont envahi l’espace public et posent de sérieux problèmes de légalité. Dans deux directions : la tutelle de la dignité des personnes (voila le mot à utiliser, plutôt que la référence, pourtant indispensable, à la confidentialité) ; la nécessité et l’urgence de restaurer le respect de règles minimales de droit dans des domaines qui semblent avoir échappé à toute logique de légalité, avec un parallèle inquiétant avec ce qui se passe dans des parties du territoire national, qui sont passées du contrôle public au contrôle criminel.

S’il est juste de s’inquiéter du "pilori médiatique", il est toutefois impossible de considérer comme secondaire ce qui, depuis l’été dernier, est sous les yeux de tout le monde.

Les évènements dans la Banque d’Italie et ses alentours, la corruption dans le monde du calcio et de la télé, les commerces autour de la santé et des sociétés téléphoniques, la descente symbolique aux enfers de la maison de Savoie dévoilent une Italie misérable des affaires louches et du langage obscène, où on négocie sur tout, des directions des arbitres aux performances sexuelles, des autorisations bancaires à l’utilisation « ciblée » des émissions télévisuelles. On découvre des mondes qui se donnent leurs propres règles, sans se soucier du code pénal, qui construisent des réseaux de protection et de complicité.

Les enquêtes judiciaires ne produisent-elles que des « bulles de savon » ? Je ne dirais pas cela : il suffit de lire les paroles sobres et sévères consacrées par le nouveau Gouverneur à la situation qui s’était déterminée dans la Banque d’Italie.
Cela, évidemment, ne veut pas dire que, si « l’Italie est malade », l’unique docteur doit être la magistrature, coûte que coûte. Une fois de plus, nous devons refuser la logique « substantialiste », selon laquelle l’atteinte d’un but légitime justifie des démaillages ou de véritables violations des garanties et des droits. Mais cela doit valoir toujours, et pour tous. La confidentialité des politiciens et des starlettes doit certainement être respectée, mais le garantisme ne peut pas disparaître, par exemple, quand on s’attaque aux différents problèmes des immigrés ou des toxicomanes. La légalité est un bien indivisible.

La question des écoutes téléphoniques, qui est devenue de plus en plus embrouillée et brûlante, ne peut pas être abordée à coups de serpe. Il faut des distinctions et des analyses soignées, surtout pour éviter que la dénonciation des abus ne se transforme en un prétexte pour se libérer de toute forme de contrôle sur des comportements sûrement illicites, pour occulter la gravité des situations qui sont dévoilées.

C’est la vieille histoire de ceux qui veulent casser le thermomètre pour ne pas prendre la température. Comme ce risque est réel, on comprend pourquoi Marco Pannella invoque la publication de tout : ce n’est pas seulement une provocation, c’est l’indication de l’irrecevabilité d’une ligne qui veut, une fois de plus, déformer les garanties pour occulter l’illicite.

Le recours à un décret-loi pour reformer la discipline des écoutes téléphoniques est alors inadmissible. Le Parlement sait depuis longtemps que la question est ouverte.
Pendant le premier gouvernement Prodi, le Garde des Sceaux avait présenté un projet de loi ; dans la dernière législature, il y avait même huit initiatives parlementaires en la matière ; des sollicitations précises étaient venues du Garant pour la confidentialité. Le long silence parlementaire n’est pas édifiant, il révèle une évidente responsabilité politique.

Avant d’agresser les magistrats, que les politiciens réfléchissent à leurs inerties. Maintenant, un travail rapide est sûrement nécessaire : mais la voie meilleure est celle du projet de loi, qui permet une réelle collaboration de tous les parlementaires et une discussion plus efficace devant l’opinion. Et, surtout, on ne peut plus accepter le recours au décret-loi quand il s’agit de droits fondamentaux des personnes.

D’ailleurs, la réforme ne peut être inspirée par une logique punitive des magistrats et des journalistes. Des déclarations préoccupées à cause des violations des droits, comme celles de Francesco Saverio Borrelli ou de Nello Rossi, montrent comment on manifeste dans le monde des magistrats un retour réconfortant de la « culture de la juridiction », sur laquelle ont souvent pris le dessus des sympathies policières. On doit souligner ce point, parce que le chemin de la réforme annoncée ne peut pas commencer, comme on l’avait pourtant menacé, par une réduction drastique des cas où il est légitime de disposer des écoutes téléphoniques. Le fait de les admettre seulement pour des cas de terrorisme et de criminalité organisée signifierait en effet se priver d’un instrument d’enquête important, par exemple dans tout ce qui concerne la corruption, domaine le plus évident dans la situation que nous avons face à nous. Une réforme ne peut pas construire un nouveau réseau de protection de l’illégalité.

C’est vrai, comme l’a mis en évidence Giuseppe D’Avanzo, que le recours excessif aux écoutes téléphoniques révèle aussi une tendance des magistrats à emprunter une voie facile, en négligeant d’autres techniques d’enquête. Mais il s’agit de questions qui ne peuvent pas être abordées par des modifications législatives générales. Il faut plutôt des règles procédurales spécifiques, plus rigoureuses en ce qui concerne les temps et les modalités des écoutes, qui peuvent aussi induire une plus grande conscience des magistrats et donc un contrôle plus attentif des demandes d’autorisation à mettre les téléphones sous écoute.

Le cœur du problème est dans la phase suivante, celle qui commence au moment où le magistrat entre en possession des écoutes. Le législateur était bien conscient de cela quand, en intervenant en 1974 justement pour protéger la confidentialité, la liberté et le caractère secret des communications, il avait prévu une intervention du magistrat pour extraire et détruire tout ce qui apparaissait négligeable dans des buts probatoires. C’est cette partie de la discipline qui n’a pas fonctionné et c’est ici qu’il faut intervenir.

En considérant les propositions passées et celles qui ont été avancées ces jours-ci, on peut dire qu’on s’oriente vers un filtre plus rigoureux et sélectif, qui apparaît comme le meilleur moyen d’éviter que soient mises ensuite en circulation des conversations négligeables ou susceptibles de violer la confidentialité et la dignité de personnes étrangères à l’enquête et, dans des circonstances particulières, des enquêtés eux-mêmes. Il y a plusieurs points à définir et ils concernent les modalités d’acquisition des conversations considérées importantes, à la définition desquelles doivent pouvoir participer les avocats des parties. Une fois que la sélection a été effectuée, les conversations importantes repérées, et l’acquisition disposée, le secret tomberait et les textes pourraient être diffusés.

Ici, en effet, l’intérêt à l’information de l’opinion publique, dépouillé du pur voyeurisme, pourrait reprendre légitimement le dessus. Reste ouverte la question de savoir si les conversations considérées comme négligeables doivent être complètement ou partiellement détruites (comme le prévoit la norme actuelle) ou si, au contraire, elles doivent être conservées dans une archive réservée.

L’institution d’une archive spécifique peut permettre de repérer un magistrat qui s’en occupe, un nombre restreint de ses collaborateurs et des procédures d’accès contrôlables, en facilitant ainsi la vérification des responsabilités en cas de fuite d’informations. Mais c’est vrai aussi que, sauf les exigences d’éventuelles vérifications successives sur des documents considérés négligeables au début, justement l’expérience de ces derniers mois nous dit qu’il y a des conversations ou des parties de conversations absolument étrangères, à cause de leurs protagonistes ou de leurs contenus, à l’objet de l’enquête, c’est pourquoi la destruction devient la forme de garantie la plus opportune.

On parviendrait ainsi à une délimitation plus précise du domaine des conversations publiables et on déplacerait aussi l’attention sur la source de l’information, en évitant de ne se concentrer que sur le dernier maillon de la chaîne, le journaliste, le seul qui soit immédiatement repérable. Mais demeure le risque de la violation du secret, de la publication de conversations pas encore légitimement acquises et donc de la façon dont devrait être sanctionné le comportement du journaliste.

Mises opportunément de côté les propositions de sanctions pénales, l’attention se déplace sur les sanctions pécuniaires (qui peuvent toutefois s’avérer, objectivement, même plus lourdes). Mais il faut avoir une incidence pas seulement et pas tellement sur la déontologie professionnelle, mais plutôt sur les conséquences visibles des violations vérifiables sur le média où la violation a eu lieu (journal, réseau de télé, site web). Et dans cette direction le garant pour la protection des données personnelles peut avoir un rôle significatif.

Par le passé, le garant est intervenu chaque fois qu’on lui a signalé la publication de passages d’écoutes clairement négligeables pour l’enquête et portant atteinte à la dignité de la personne. Mais ces interventions, même si elles sont importantes, n’arrivent que quand la violation a déjà eu lieu, parce qu’on ne peut pas attribuer au Garant un rôle anticonstitutionnel de censure préventive, ni la tâche de gardien de la bonne mesure.

Ces interventions pèsent peu, parce qu’elles n’arrivent pas à revêtir une importance publique adéquate. Qu’arriverait-il si le Garant, une fois la violation vérifiée, n’avait pas le pouvoir, vieux et fatigué, d’imposer la rectification mais celui d’obliger le média concerné, par exemple un journal, à publier en première page un large encadré où on dirait « nous avons violé la confidentialité d’un quidam (sans citer le fait spécifique, pour éviter d’amplifier davantage la violation) et rappelons à tous les critères et les principes à respecter (synthétisés dans l’encadré d’une façon éloquente) » ? Je ne sais pas si cela pourrait devenir vraiment une force de dissuasion. Mais justement la nouveauté et la gravité des attentats à la dignité des personnes exigent qu’on fasse un effort de fantaisie et qu’on cherche des chemins différents, même s’ils ne sont pas exactement tout neufs. Et j’espère que le système de l’information ne se retranchera pas sur lui-même, comme nous l’avons déjà vu par le passé. Comme les magistrats perçoivent les risques de dérives qui délégitimeraient gravement leur fonction, de même le monde de la communication devrait récupérer, à la fois, la capacité du respect des personnes et la fierté du « défenseur civique », en enquêtant sur les maux italiens sans attendre d’avoir été pris par la main par les fournisseurs d’écoutes téléphoniques.

http://www.repubblica.it/2006/06/se...

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